

L’actualité du mois
Quelle loi est applicable à l’action qu’intente le sous-acquéreur d’un bien à l’encontre du fabricant étranger de ce bien dans le contexte d’une chaîne internationale de contrats translatifs de propriété ? Par deux arrêts de principe du 28 mai 2025, la Cour de cassation a pris une importante position sur la qualification de cette action. Pour la Cour de cassation, l’action est de nature extracontractuelle, ce qui entraîne deux conséquences. Tout d’abord, l’identification de la loi applicable à l’action s’opèrera à l’aide des règles de conflit de lois énoncées par le règlement (CE) n°864/2007 dit « Rome II » du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles. Ensuite, même si ce règlement (art.14) permet aux parties en ce domaine de choisir la loi applicable à leurs relations, le sous-acquéreur ne pourra cependant se voir opposer la clause de choix de loi qui pourrait figurer au contrat initial, conclu entre le fabricant et le premier acquéreur du bien concerné par l’action.
Le thème du mois
La rupture brutale de relation commerciale établie en matière internationale (II)
Comment identifier la loi que la juridiction saisie va appliquer à l’action en indemnisation qu’intente le partenaire s’estimant victime d’une rupture brutale de relation commerciale établie ? La question se révèle assurément d’importance s’il est observé que très peu de législations étrangères assurent au partenaire évincé une protection similaire à celle qu’organise l’article L.442-1.II du Code de commerce. Selon toute vraisemblance, la victime de la rupture brutale, que cette rupture soit le fait d’un opérateur français envers son partenaire étranger, ou bien celui d’un opérateur étranger envers son partenaire français, va chercher à obtenir l’application par le juge français de L.442-1.II susdit. Mais en est-elle assurée ? Afin de garantir cette application, le partenaire brutalement évincé pourra songer à se prévaloir de la méthode dite des lois de police ou d’application immédiate. Méthode qui lui permettrait, pour accroître ses chances d’ obtenir réparation, de soutenir l’application par le juge de l’article L.442-1.II, liée à son caractère d’ordre public, imposant son application immédiate en matière internationale. La possibilité d’obtenir l’application immédiate de l’ article L.442-1.I doit cependant être tempérée pour au moins deux ordres de raisons. En premier lieu, voir dans l’article L.442-1.I une loi de police ne correspond apparemment pas à la réalité du droit positif. Même si un important arrêt Expedia du 8 juillet 2020 a pu donner l’illusion que la Cour de cassation avait consacré cette qualification, la jurisprudence postérieure, notamment de la CA Paris, a plutôt démenti cette apparence. Ensuite, la CA Paris a dans plusieurs arrêts postérieurs fait valoir que même si cette qualification de loi de police était admise, l’application immédiate de l’article L.442-1.I ne se justifierait de toute façon qu’à la condition que la victime de la rupture brutale soit établie en France.
Ecartée, la méthode des lois de police laisse la place aux règles de conflit de lois, dont le jeu déterminera l’application ou non du droit français, et spécialement de l’article L.442-1.I. Mais quelle règle de conflit de lois dans l’espace utiliser à propos de cette action en responsabilité fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie ? L’hésitation paraît de mise tant la matière peut paraître tiraillée entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle. La période actuelle illustre parfaitement ce tiraillement. Si la CJUE dans son célèbre arrêt Granarolo du 14 juillet 2016 a dans le contexte de la compétence juridictionnelle clairement fait pencher la balance en faveur d’une qualification contractuelle, le doute est aujourd’hui de mise. Manifestement, la Cour de cassation a dans un récent arrêt du 2 avril 2025 entendu marquer sa préférence pour la qualification extracontractuelle de l’action en indemnisation pour rupture brutale de relation commerciale établie. Par cet arrêt, la Haute Juridiction a en effet posé à la CJUE une question préjudicielle. Cette question préjudicielle l’invite à prendre parti à propos de la loi applicable sur la nature contractuelle ou non de l’action. Avec à la clé l’orientation du litige soit vers les règles de conflit de lois du règlement Rome II n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, soit vers celles du règlement Rome I n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Sans préjuger ici de la réponse qu’apportera la CJUE à cette question préjudicielle, on ne peut qu’être sensible aux arguments longuement et savamment développés par la Cour de cassation en faveur d’une possible remise en cause de la qualification contractuelle attribuée à l’action en responsabilité fondée sur l’article L.442-1,II C.com.
Le coin des spécialistes
Pour compléter tout ce qui précède, mention doit être faite d’un autre arrêt important rendu le 12 mars 2025 par la Cour de cassation. Cette fois, à propos des règles de droit international privé commun de la compétence juridictionnelle internationale, c’est-à-dire celles qui s’appliquent que lorsque les règles du droit international privé européen se retirent, la Cour de cassation marque de nouveau sa préférence en faveur de la qualification extracontractuelle de l’action en responsabilité pour rupture brutale de relation commerciale établie. Ce qui a pour signification que saisie d’une telle action, et pour autant que ne s’applique pas le règlement Bruxelles 1 bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, la juridiction française devra faire application pour apprécier sa compétence de l’article 46 al.3 du CPC.
