Transfrontière
Transfrontière

Transfrontière

La sélection du mois

Peut-on appliquer l’article 1171 du Code civil, qui réprime le déséquilibre significatif dans les contrats, pour écarter une clause figurant dans un contrat d’adhésion passé entre un professionnel français désireux d’acquérir un compte Instagram et une plate-forme numérique irlandaise, clause qui donnait compétence aux tribunaux irlandais ? Non, répond la première Chambre civile de la Cour de cassation dans un intéressant arrêt du 12 avril 2025 (23-12.384, à paraître au Bulletin). Au professionnel français qui arguait de la nature de loi de police de l’article 1171 pour imposer son application, la Cour de cassation répond que l’article 25 du règlement Bruxelles 1 bis, dont les dispositions gouvernent les clauses attributives de juridiction, donne en l’espèce compétence au droit irlandais pour juger de la validité de la clause, sans que puisse être ici utilisé le mécanisme des lois de police.

Le thème du mois    

La rupture brutale de relation commerciale établie en matière internationale (I)

  Il n’est pas rare qu’une entreprise soit victime de la part d’un partenaire économique d’une rupture brutale de la relation économique qui les unissait, sans qu’ait été observé un délai de préavis suffisant. Le législateur français est intervenu à travers l’article L.442-1.II du Code de commerce pour permettre notamment à l’opérateur évincé brutalement d’engager la responsabilité civile de son partenaire. Cette rupture intervient souvent dans un contexte international, soit que l’auteur de la rupture dont souffre l’opérateur français se situe à l’étranger, soit qu’à l’inverse ce soit le partenaire français qui rompe brutalement la relation commerciale l’unissant à l’entreprise étrangère. Devant quelle juridiction la victime de la rupture brutale est-elle en droit de porter son action en responsabilité civile à l’encontre de l’auteur ? Telle est la question à laquelle répondent brièvement les développements qui suivent. La question de l’identification des règles de droit qu’appliquera la juridiction saisie d’une telle action sera traitée dans le prochain numéro.

La juridiction compétente pour connaître d’une telle action en responsabilité pourra être une juridiction arbitrale si la relation brutalement rompue avait été formalisée dans un contrat comportant une convention d’arbitrage. A condition du moins que cette convention d’arbitrage ait inclus cette action dans son champ d’application matériel. En l’absence d’une telle clause, l’action devra être portée devant la juridiction étatique dont la compétence internationale résulte des règles de droit international privé du pays auquel cette juridiction appartient. S’agissant de la France, les règles gouvernant la compétence internationale de nos juridictions relèvent soit du droit international privé conventionnel, soit du droit international privé commun. Selon les premières, que l’on trouvera au sein du dispositif dit Bruxelles1 bis/Lugano 2, applicable selon que le défendeur, ici l’auteur de la rupture, est domicilié dans un Etat de l’UE ou de l’AELE, une distinction s’imposera. Soit le contrat matérialisant la relation commerciale établie contiendra une clause attributive de juridiction, auquel cas le tribunal élu pourra connaître de l’action en responsabilité, pour autant du moins que la clause soit jugée valide au regard des règles du dispositif. En l’absence du jeu d’une telle clause, seront compétentes en vertu du dispositif les juridictions de l’Etat membre du domicile du défendeur. Mais la victime de la rupture brutale disposera en vertu des règles spéciales du dispositif d’une faculté : attraire son adversaire devant la juridiction du lieu d’exécution de la relation contractuelle rompue, c’est-à-dire par exemple, en présence d’un contrat de distribution, la juridiction de l’Etat où s’exécute ce contrat.

Si le droit conventionnel ne peut s’appliquer, et que jouent alors les règles de droit international privé commun français, les solutions seront en partie différentes. En effet, si la juridiction française du domicile de l’auteur de la rupture pourra comme en droit conventionnel être saisie de l’action, elle sera également internationalement compétente pour connaître de la demande en indemnisation en tant que juridiction du lieu du fait dommageable, dès lors du moins que le dommage résultant de la rupture aura été subi en France.

Le coin des spécialistes

Les développements qui précèdent n’ont pas insisté sur les incertitudes qui entourent ici la détermination de la juridiction compétente pour connaître de l’action en indemnisation. Incertitudes qui s’expliquent par la différence de qualification que retiennent en la matière droit international privé conventionnel et droit international privé commun français. Tandis que le premier opte encore largement pour une qualification contractuelle de l’action, le second la qualifie de délictuelle. Dans ces conditions, mieux vaut qu’ait été stipulée dans le contrat rompu brutalement une convention d’arbitrage, de surcroît rédigée dans des termes suffisamment compréhensifs pour englober l’action en indemnisation pour rupture brutale. Simplicité et rapidité ne pourront qu’y gagner.

Transfrontières
Breviatis Causa
Rédacteur en chef : Frédéric Leclerc/ Professeur agrégé des Universités et Avocat au barreau des Pyrénées Orientales

Laisser un commentaire